Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/397

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traits vifs, mais voilés, qui doivent y plaire, parce qu’on est plus exercé à les pénétrer. Il faut pourtant ici distinguer encore. Cette lecture n’est assurément pas propre à cette sorte de gens d’esprit qui n’ont que de la ruse, qui ne sont fins que pour pénétrer le mal, & qui ne voient rien du tout où il n’y a que du bien à voir. Si, par exemple, la Julie eût été publiée en certain pays que je pense, je suis sûr que personne n’en eût achevé la lecture, & qu’elle seroit morte en naissant.

J’ai rassemblé la plupart des lettres qui me furent écrites sur cet ouvrage, dans une liasse qui est entre les mains de Mde. de Nadaillac. Si jamais ce recueil paroît, on y verra des choses bien singulières, & une opposition de jugement qui montre ce que c’est que d’avoir affaire au public. La chose qu’on y a le moins vue, & qui en fera toujours un ouvrage unique, est la simplicité du sujet & la chaîne de l’intérêt qui, concentré entre trois personnes, se soutient durant six volumes sans épisode, sans aventure romanesque, sans méchanceté d’aucune espèce, ni dans les personnages, ni dans les actions. Diderot a fait de grands complimens à Richardson sur la prodigieuse variété de ses tableaux & sur la multitude de ses personnages. Richardson a, en effet, le mérite de les avoir tous bien caractérisés : mais quant à leur nombre, il a cela de commun avec les plus insipides romanciers, qui suppléent à la stérilité de leurs idées à force de personnages & d’aventures. Il est aisé de réveiller l’attention en présentant incessamment & des événemens inouis & de nouveaux visages, qui passent comme les figures de la