Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/49

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infidélité dont j’avois inutilement voulu porter l’Ambassadeur à se plaindre. Mon objet en parlant de cette vexation dans la dépêche, étoit de tirer parti de leur curiosité, pour leur faire peur & les engager à délivrer le vaisseau ; car s’il eût fallu attendre pour cela la réponse de la Cour, le capitaine étoit ruiné avant qu’elle ne fût venue. Je fis plus, je me rendis au vaisseau pour interroger l’équipage. Je pris avec moi l’abbé Patizel, chancelier du consulat, qui ne vint qu’à contre-cœur ; tant tous ces pauvres gens craignoient de déplaire au sénat. Ne pouvant monter à bord à cause de la défense, je restai dans ma gondole & j’y dressai mon verbal, interrogeant à haute voix & successivement tous les gens de l’équipage & dirigeant mes questions de manière à tirer des réponses qui leur fussent avantageuses. Je voulus engager Patizel à faire les interrogations & le verbal lui-même, ce qui en effet étoit plus de son métier que du mien. Il n’y voulut jamais consentir, ne dit pas un seul mot & voulut à peine signer le verbal après moi. Cette démarche un peu hardie eut cependant un heureux succès & le vaisseau fut délivré long-tems avant la réponse du ministre. Le capitaine voulut me faire un présent. Sans me fâcher, je lui dis, en lui frappant sur l’épaule : Capitaine Olivet crois-tu que celui qui ne reçoit pas des François un droit de passeport qu’il trouve établi, soit homme à leur vendre la protection du roi ? Il voulut au moins me donner sur son bord un dîner, que j’acceptai & où je menai le secrétaire d’ambassade d’Espagne, nommé Carrio, homme d’esprit & très aimable, qu’on a vu depuis secrétaire d’ambassade à Paris & chargé des affaires,