Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t16.djvu/65

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Je voulus avoir ce morceau : je l’eus & je l’ai gardé longtemps ; mais il n’étoit pas sur mon papier comme dans ma mémoire. C’étoit bien la même note, mais ce n’étoit pas la même chose. Jamais cet air divin ne peut être exécuté que dans ma tête, comme il le fut le jour qu’il me réveilla.

Une musique à mon gré bien supérieure à celle des opéras & qui n’a pas sa semblable en Italie, ni dans le reste du monde, est celle des scuole. Les scuole sont des maisons de charité établies pour donner l’éducation à des jeunes filles sans bien & que la république dote ensuite soit pour le mariage, soit pour le cloître. Parmi les talens qu’on cultive dans ces jeunes filles, la musique est au premier rang. Tous les dimanches à l’église de ces quatre scuole, on a durant les vêpres des motets à grand chœur & en grand orchestre, composés & dirigés par les plus grands maîtres de l’Italie, exécutés dans des tribunes grillées, uniquement par des filles dont la plus vieille n’a pas vingt ans. Je n’ai l’idée de rien d’aussi voluptueux, d’aussi touchant que cette musique : les richesses de l’art, le goût exquis des chants, la beauté des voix, la justesse de l’exécution, tout dans ces délicieux concerts concourt à produire une impression qui n’est assurément pas du bon costume, mais dont je doute qu’aucun cœur d’homme soit à l’abri. Jamais Carrio ni moi ne manquions ces vêpres aux Mendicanti & nous n’étions pas les seuls. L’église étoit toujours pleine d’amateurs, les acteurs même de l’Opéra venoient se former au vrai goût du chant sur ces excellens modèles. Ce qui me désoloit étoit