Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t17.djvu/121

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d’un bout à l’autre, j’étois sûr qu’à travers mes fautes & mes foiblesses, à travers mon inaptitude à supporter aucun joug, on trouveroit toujours un homme juste, bon, sans fiel, sans haine, sans jalousie, prompt à reconnoître ses propres torts, plus prompt à oublier ceux d’autrui ; cherchant toute sa félicité dans les passions aimantes & douces, & portant en toute chose la sincérité jusqu’à l’imprudence, jusqu’au plus incroyable désintéressement.

Je prenois donc en quelque sorte congé de mon siècle & de mes contemporains, & je faisois mes adieux au monde, en me confinant dans cette isle pour le reste de mes jours ; car telle étoit ma résolution, & c’étoit-là que je comptois exécuter enfin le grand projet de cette vie oiseuse auquel j’avois inutilement consacré jusqu’alors tout le peu d’activité que le ciel m’avoit départie. Cette isle alloit devenir pour moi celle de Papimanie, ce bienheureux pays où l’on dort ;

Où l’on fait plus, où l’on fait nulle chose.

Ce plus étoit tout pour moi, car j’ai toujours peu regretté le sommeil ; l’oisiveté me suffit, & pourvu que je ne fasse rien, j’aime encore mieux rêver éveillé qu’en songe. L’âge des projets romanesques étant passé, & la fumée de la gloriole m’ayant plus étourdi que flatté, il ne me restoit, pour dernière espérance, que celle de vivre sans gêne dans un loisir éternel. C’est la vie des bienheureux dans l’autre monde, & j’en faisois désormois mon bonheur suprême dans celui-ci.