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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/202

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tes vivacités ordinaires & combien tu as de penchant à te prévenir pour ou contre les gens, presque à la premiere vue. Cependant nous examinerons à loisir les arrangemens qu’il t’aproposés. Si l’amour favorise le projet qui m’occupe, il s’enprésentera peut-être de meilleurs pour nous. Ô mon bon ami, la patience est amere, mais son fruit est doux !

Pour revenir à ton Anglois, je t’ai dit qu’il me paroissoit avoir l’ame grande & forte, & plus de lumieres que d’agrémens dans l’esprit. Tu dis à peu près la même chose ; & puis, avec cet air de supériorité masculine qui n’abandonne point nos humbles adorateurs, tu me reproches d’avoir été de mon sexe une fois en ma vie, comme si jamais une femme devoit cesser d’en être ! Te souvient-il qu’en lisant ta République de Platon nous avons autrefois disputé sur ce point de la différence morale des sexes ? Je persiste dans l’avis dont j’étois alors, & ne saurois imaginer un modele commun de perfection pour deux êtres si différents. L’attaque & la défense, l’audace des hommes, la pudeur des femmes ne sont point des conventions comme le pensent tes Philosophes, mais des institutions naturelles dont il est facile de rendre raison, & dont se déduisent aisément toutes les autres distinctions morales. D’ailleurs, la destination de la nature n’étant pas la même, les inclinations, les manieres de voir & de sentir doivent être dirigées de chaque côté selon ses vues, il ne faut point les mêmes goûts ni la même constitution pour labourer la terre & pour allaiter les enfans. Une taille plus haute, une voix plus forte & des traits plus marqués semblent n’avoir aucun rapport nécessaire au sexe ;