Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/224

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replet ; mais je tire à peu près de toi la vengeance que Henri IV tira du duc de Mayenne, & ta Souveraine veut imiter la clémence du meilleur des Rois. Aussi bien je craindrois qu’à force de regrets & d’excuses tu ne te fisses à la fin un mérite d’une faute si bien réparée, & je veux me hâter de l’oublier, de peur que si ’attendois trop long-tems ce ne fût plus générosité, mais ingratitude.

À l’égard de ta résolution de renoncer au vin pour toujours, elle n’a pas autant d’éclat à mes yeux que tu pourrois croire ; les passions vives ne songent guere à ces petits sacrifices, & l’amour ne se repaît point de galanterie. D’ailleurs, il y a quelquefois plus d’adresse que de courage à tirer avantage pour le moment présent d’un avenir incertain, & à se payer d’avance d’une abstinence éternelle à laquelle on renonce quand on veut. Eh ! mon ami ! dans tout ce qui flatte les sens l’abus est-il donc inséparable de la jouissance ? L’ivresse est-elle nécessairement attachée au goût du vin, & la philosophie seroit-elle assez vaine ou assez cruelle pour n’offrir d’autre moyen d’user modérément des choses qui plaisent, que de s’en priver tout-à-fait ?

Si tu tiens ton engagement, tu t’ôtes un plaisir innocent, & risques ta santé en changeant de maniere de vivre : si tu l’enfreins, l’amour est doublement offensé & ton honneur même en souffre. J’use donc en cette occasion de mes droits, & non-seulement je te releve d’un vœu nul, comme fait sans mon congé, mais je te défends même de l’observer au-delà du terme que je vais te prescrire. Mardi nous aurons ici la musique de Milord Edouard. À la collation je t’enverrai une