Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/242

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au sort d’un duel vous appellez le Ciel en témoignage d’une fausseté, & que vous osez dire à l’arbitre des combats ; viens soutenir la cause injuste, & faire triompher le mensonge ? Ce blaspheme n’a-t-il rien qui vous épouvante ? Cette absurdité n’a-t-elle rien qui vous révolte ? Eh Dieu ! quel est ce misérable honneur qui ne craint pas le vice mais le reproche, & qui ne vous permet pas d’endurer d’un autre un démenti reçu d’avance de votre propre cœur ?

Vous qui voulez qu’on profite pour soi de ses lectures, profitez donc des vôtres, & cherchez si l’on vit un seul appel sur la terre quand elle étoit couverte de héros ? Les plus vaillans hommes de l’antiquité songerent-ils jamais à venger leurs injures personnelles par des combats particuliers ? César envoya-t-il un cartel à Caton, ou Pompée à César, pour tant d’affrons réciproques, & le plus grand Capitaine de la Grece fut-il déshonoré pour s’être laissé menacer du bâton ? D’autres tems, d’autres mœurs, je le sais ; mais n’y en a-t-il que de bonnes, & n’oseroit-on enquérir si les mœurs d’un tems sont celles qu’exige le solide honneur ? Non, cet honneur n’est point variable, il ne dépend ni des tems ni des lieux ni des préjugés, il ne peut ni passer ni renaître, il a sa source éternelle dans le cœur de l’homme juste & dans la regle inaltérable de ses devoirs. Si les peuples les plus éclairés, les plus braves, les plus vertueux de la terre n’ont point connu le duel, je dis qu’il n’est pas une institution de l’honneur, mais une mode affreuse & barbare digne de sa féroce origine. Reste à savoir si, quand il s’agit de sa vie ou de celle d’autrui, l’honnête homme se regle sur la mode, & s’il n’y a pas alors