Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/273

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mal étouffé. Je ne sais quelle mauvaise honte empêchoit ces bras paternels de se livrer à ces douces étreintes ; une certaine gravité qu’on n’osoit quitter, une certaine confusion qu’on n’osoit vaincre, mettoient entre un pere & sa fille ce charmant embarras que la pudeur & l’amour donnent aux amants ; tandis qu’une tendre mere, transportée d’oise, dévoroit en secret un si doux spectacle. Je voyois, je sentois tout cela, mon ange, & ne pus tenir plus long-tems à l’attendrissement qui me gagnoit. Je feignis de glisser ; je jettai pour me retenir un bras au cou de mon pere ; je penchai mon visage sur son visage vénérable, & dans un instant il fut couvert de mes baisers & inondé de mes larmes. Je sentis à celles qui lui couloient des yeux qu’il étoit lui-même soulagé d’une grande peine ; ma mere vint partager nos transports. Douce & paisible innocence, tu manquas seule à mon cœur pour faire de cette scene de la nature le plus délicieux moment de ma vie !

Ce matin, la lassitude & le ressentiment de ma chute m’ayant retenue au lit un peu tard, mon pere est entré dans ma chambre avant que je fusse levée ; il s’est assis à côté de mon lit en s’informant tendrement de ma santé ; il a pris une de mes moins dans les siennes, il s’est abaissé jusqu’à la baiser plusieurs fois en m’appelant sa chére fille, & me témoignant du regret de son emportement. Pour moi je lui ai dit, & je le pense, que je serois trop heureuse d’être battue tous les jours au même prix, & qu’il n’y a point de traitement si rude qu’une seule de ses caresses n’efface au fond de mon cœur.