Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/329

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LETTRE VIII. DE CLAIRE.

Vous avez plus d’amour que de délicatesse & savez mieux faire des sacrifices que les faire valoir. Y pensez-vous d’écrire à Julie sur un ton de reproches dans l’état où elle est & parce que vous souffrez, faut-il vous en prendre à elle qui souffre encore plus ? Je vous l’ai dit mille fois, je ne vis de ma vie un amant si grondeur que vous ; toujours prêt à disputer sur tout, l’amour n’est pour vous qu’un état de guerre ; ou, si quelquefois vous êtes docile, c’est pour vous plaindre ensuite de l’avoir été. Oh ! que de pareils amans sont à craindre ! & que je m’estime heureuse de ’en avoir jamais voulu que de ceux qu’on peut congédier quand on veut, sans qu’il en coûte une larme à personne !

Croyez-moi, changez de langage avec Julie si vous voulez qu’elle vive ; c’en est trop pour elle de supporter à la fois sa peine & vos mécontentements. Apprenez une fois à ménager ce cœur trop sensible ; vous lui devez les plus tendres consolations : craignez d’augmenter vos maux à force de vous en plaindre, ou du moins ne vous en plaignez qu’à moi qui suis l’unique auteur de votre éloignement. Oui, mon ami, vous avez deviné juste ; je lui ai suggéré le parti qu’exigeoit son honneur en péril, ou plutôt je l’ai forcée à le prendre en exagérant le danger, je vous ai déterminé vous-même & chacun a rempli son devoir. J’ai plus fait encore ; je l’ai détournée