Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/378

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ne differe pas beaucoup de celui des tables d’auberges.

Je suis maintenant initié à des mysteres plus sacrés. J’assiste à des soupers priés, où la porte est fermée à tout survenant & où l’on est sûr de ne trouver que des gens qui conviennent tous, sinon les uns aux autres, au moins à ceux qui les reçoivent. C’est là que les femmes s’observent moins & qu’on peut commencer à les étudier ; c’est là que regnent plus paisiblement des propos plus fins & plus satiriques ; c’est là qu’au lieu des nouvelles publiques, des spectacles, des promotions, des morts, des mariages, dont on a parlé le matin, on passe discretement en revue les anecdotes de Paris, qu’on dévoile tous les événemens secrets de la chronique scandaleuse, qu’on rend le bien & le mal également plaisants & ridicules & que, peignant avec art & selon l’intérêt particulier les caracteres des personnages, chaque interlocuteur, sans y penser, peint encore beaucoup mieux le sien ; c’est là qu’un reste de circonspection fait inventer devant les laquais un certain langage entortillé, sous lequel, feignant de rendre la satire plus obscure, on la rend seulement plus amere, c’est là, en un mot, qu’on affile avec soin le poignard, sous prétexte de faire moins de mal, mais en effet pour l’enfoncer plus avant.

Cependant, à considérer ces propos selon nos idées, on auroit tort de les appeler satiriques, car ils sont bien plus railleurs que mordants & tombent moins sur le vice que sur le ridicule. En général la satire a peu de cours dans les grandes villes, où ce qui n’est que mal est si simple, que ce n’est pas la peine d’en parler. Que reste-t-il à