Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/432

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tous les rôles sont doubles & triples [1], c’est-à-dire qu’il y a toujours un ou deux acteurs subalternes prêts à remplacer l’acteur principal & payés pour ne rien faire jusqu’à ce qu’il lui plaise de ne plus rien faire à son tour ; ce qui ne tarde jamais beaucoup d’arriver. après quelques représentations, les premiers acteurs, qui sont d’importans personnages, n’honorent plus le public de leur présence ; ils abandonnent la place à leurs substituts & aux substituts de leurs substituts. On reçoit toujours le même argent à la porte, mais on ne donne plus le même spectacle. Chacun prend son billet comme à une loterie, sans savoir quel lot il aura : & quel qu’il soit, personne n’oseroit se plaindre ; car, afin que vous le sachiez, les nobles membres de cette Académie ne doivent aucun respect au public : c’est le public qui leur en doit.

Je ne vous parlerai point de cette musique ; vous la connoissez. Mais ce dont vous ne sauriez avoir d’idée, ce sont les cris affreux, les longs mugissemens dont retentit le théâtre durant la représentation. On voit les actrices, presque en convulsion, arracher avec violence ces glapissemens de leurs poumons, les poings fermés contre la poitrine, la tête en arriere, le visage enflammé, les vaisseaux gonflés, l’estomac pantelant : on ne sait lequel est le plus désagréablement affecté, de l’œil ou de l’oreille ; leurs efforts font autant souffrir ceux qui les regardent, que leurs chans ceux

  1. On ne fait ce que c’est que des doubles en Italie ; le public ne les souffriroit pas ; aussi le spectacle est-il à beaucoup meilleur marché : il en coûteroit trop pour être mal servi.