Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/574

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ce désir ; car nous avons tous reçu de la nature une tres grande horreur de la mort, & cette horreur déguise à nos yeux les miseres de la condition humaine. On supporte long-tems une vie pénible, & douloureuse avant de se résoudre à la quitter ; mais quand une fois l’ennui de vivre l’emporte sur l’horreur de mourir, alors la vie est évidemment un grand mal, & l’on ne peut s’en délivrer trop tôt. Ainsi, quoiqu’on ne puisse exactement assigner le point où elle cesse d’être un bien, on sait tres certainement au moins qu’elle est un mal long-tems avant de nous le paroître ; & chez tout homme sensé le droit d’y renoncer en précede toujours de beaucoup la tentation.

Ce n’est pas tout ; apres avoir nié que la vie puisse être un mal, pour nous ôter le droit de nous en défaire, ils disent ensuite qu’elle est un mal, pour nous reprocher de ne la pouvoir endurer. Selon eux, c’est une lâcheté de se soustraire à ses douleurs, & ses peines, & il n’y a jamais que des poltrons qui se donnent la mort. Ô Rome, conquérante du monde, quelle troupe de poltrons t’en donna l’empire ! Qu’Arrie, Eponine, Lucrece, soient dans le nombre, elles étoient femmes ; mais Brutus, mais Cassius, & toi qui partageois avec les Dieux les respects de la terre étonnée, grand, & divin Caton, toi dont l’image auguste, & sacrée animoit les Romains d’un saint zele, & faisoit frémir les tyrans, tes fiers admirateurs ne pensoient pas qu’un jour, dans le coin poudreux d’un college, dev ils rhéteurs prouveroient que tu ne fus qu’un lâche pour avoir refusé au crime heureux l’hommage de la vertu dans les fers. Force