Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/581

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l’ame la dégage aisément de ses entraves, & où l’homme sait encore mourir ; plus tard il se laisse en gémissant arracher à la vie. Profitons d’un tems où l’ennui de vivre nous rend la mort désirable ; craignons qu’elle ne vienne avec ses horreurs au moment où nous n’en voudrons plus. Je m’en souviens, il fut un instant où je ne demandois qu’une heure au Ciel, & où je serois mort désespéré si je ne l’eusse obtenue. Ah ! qu’on a de peine à briser les nœuds qui lient nos cœurs à la terre, & qu’il est sage de la quitter aussi-tôt qu’ils sont rompus ! Je le sens, Milord, nous sommes dignes tous deux d’une habitation plus pure ; la vertu nous la montre, & le sort nous invite à la chercher. Que l’amitié qui nous joint nous unisse encore à notre derniere heure ! Ô quelle volupté pour deux vrais amis de finir leurs jours volontairement dans les bras l’un de l’autre, de confondre leurs derniers soupirs ; d’exhaler à la fois les deux moitiés de leur ame ! Quelle douleur, quel regret peut empoisonner leurs derniers instans ? Que quittent-ils en sortant du monde ? Ils s’en vont ensemble ; ils ne quittent rien.