Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t2.djvu/75

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moins pour l’amour de toi-même, daigne prendre pitié de moi.

Ô Dieu ! suis-je assez humiliée ! Je t’écris à genoux ; je baigne mon papier de mes pleurs ; j’éleve à toi mes timides supplications. Et ne pense pas, cependant, que j’ignore que c’étoit à moi d’en recevoir, & que pour me faire obéir je n’avois qu’à me rendre avec art méprisable. Ami, prends ce vain empire, & laisse-moi l’honnêteté : j’aime mieux être ton esclave & vivre innocente, que d’acheter ta dépendance au prix de mon déshonneur. Si tu daignes m’écouter, que d’amour, que de respects ne dois-tu pas attendre de celle qui te devra son retour à la vie ? Quels charmes dans la douce union de deux ames pures ! Tes désirs vaincus seront la source de ton bonheur, & les plaisirs dont tu jouiras seront dignes du Ciel même.

Je crois, j’espere, qu’un cœur qui m’a paru mériter tout l’attachement du mien ne démentira pas la générosité que j’attends de lui. J’espere encore que s’il étoit assez lâche pour abuser de mon égarement & des aveux qu’il m’arrache, le mépris, l’indignation me rendroient la raison que j’ai perdue, & que je ne serois pas assez lâche moi-même pour craindre un amant dont j’aurois à rougir. Tu seras vertueux ou méprisé ; je serai respectée ou guérie ; voilà l’unique espoir qui me reste avant celui de mourir.