Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/103

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

tant de subordination & comment elle & son mari pouvoient descendre & s’égaler si souvent à leurs domestiques, sans que ceux-ci fussent tentés de les prendre au mot & de s’égaler à eux à leur tour. Je ne crois pas qu’il y ait des Souverains en Asie servis dans leurs palais avec plus de respect que ces bons maîtres le sont dans leur maison. Je ne connois rien de moins impérieux que leurs ordres & rien de si promptement exécuté : ils prient & l’on vole ; ils excusent & l’on sent son tort. Je n’ai jamais mieux compris combien la force des choses qu’on dit dépend peu des mots qu’on emploie.

Ceci m’a fait faire une autre réflexion sur la vaine gravité des maîtres. C’est que ce sont moins leurs familiarités que leurs défauts qui les font mépriser chez eux & que l’insolence des domestiques annonce plutôt un maître vicieux que foible ; car rien ne leur donne autant d’audace que la connoissance de ses vices & tous ceux qu’ils découvrent en lui sont à leurs yeux autant de dispenses d’obéir à un homme qu’ils ne sauroient plus respecter.

Les valets imitent les maîtres & les imitant grossierement ils rendent sensibles dans leur conduite les défauts que le vernis de l’éducation cache mieux dans les autres. À Paris, je jugeois des mœurs des femmes de ma connoissance par l’air & le ton de leurs femmes-de-chambre & cette regle ne m’a jamais trompé. Outre que la femme-de-chambre, une fois dépositaire du secret de sa maîtresse, lui fait payer cher sa discrétion, elle agit comme l’autre pense & décele toutes ses maximes en les pratiquant mal-adroitement. En toute