Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/182

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d’amie plus tendre, plus vertueuse, plus aimable que celle dont mon cœur est idolâtre & je vais passer mes jours avec elle ; vous-même contribuez à me les rendre chers en justifiant si bien mon estime & mes sentimens pour vous ; un long & fâcheux proces prêt à finir va ramener dans nos bras le meilleur des peres ; tout nous prospere ; l’ordre, & la paix regnent dans notre maison ; nos domestiques sont zélés & fideles ; nos voisins nous marquent toutes sortes d’attachement ; nous jouissons de la bienveillance publique. Favorisée en toutes choses du ciel, de la fortune & des hommes, je vois tout concourir à mon bonheur. Un chagrin secret, un seul chagrin l’empoisonne & je ne suis pas heureuse. Elle dit ces derniers mots avec un soupir qui me perça l’ame & auquel je vis trop que je n’avois aucune part. Elle n’est pas heureuse, me dis-je en soupirant à mon tour & ce n’est plus moi qui l’empêche de l’être !

Cette funeste idée bouleversa dans un instant toutes les miennes & troubla le repos dont je commençois à jouir. Impatient du doute insupportable où ce discours m’avoit jeté, je la pressai tellement d’achever de m’ouvrir son cœur, qu’enfin elle versa dans le mien ce fatal secret & me permit de vous le révéler. Mais voici l’heure de la promenade. Madame de Wolmar sort actuellement du gynécée pour aller se promener avec ses enfans ; elle vient de me le faire dire. J’y cours, milord : je vous quitte pour cette fois & remets à reprendre dans une autre lettre le sujet interrompu dans celle-ci.