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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/212

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& des services, sans bien savoir si l’usage qu’on en veut faire est raisonnable & juste. Sa protection n’est jamais refusée à quiconque en a un véritable besoin & mérite de l’obtenir ; mais pour ceux que l’inquiétude ou l’ambition porte à vouloir s’élever & quitter un état où ils sont bien, rarement peuvent-ils l’engager à se mêler de leurs affaires. La condition naturelle à l’homme est de cultiver la terre & de vivre de ses fruits. Le paisible habitant des champs n’a besoin pour sentir son bonheur que de le connoître. Tous les vrais plaisirs de l’homme sont à sa portée ; il n’a que les peines inséparables de l’humanité, des peines que celui qui croit s’en délivrer ne fait qu’échanger contre d’autres plus cruelles [1]. Cet état est le seul nécessaire & le plus utile. Il n’est malheureux que quand les autres le tyrannisent par leur violence, ou le séduisent par l’exemple de leurs vices. C’est en lui que consiste la véritable prospérité d’un pays, la force & la grandeur qu’un peuple tire de lui-même, qui ne dépend en rien des autres nations, qui ne contraint jamais d’attaquer pour se soutenir & donne les plus sûrs moyens de se défendre. Quand il est question d’estimer la puissance publique, le bel esprit visite les palais du prince, ses ports, ses troupes, ses arsenaux, ses villes ; le vrai politique parcourt les terres & va dans la chaumiere du laboureur. Le premier voit ce qu’on a fait & le second ce qu’on peut faire.

Sur ce principe on s’attache ici & plus encore à Etange,

  1. L’homme sorti de sa premiere simplicité devient si stupide qu’il ne fait pas même désirer. Ses souhaits exaucés le meneroient tous à la fortune, jamais à la felicité.