Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t3.djvu/355

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plus de confiance encore, en voyant que, loin de rien perdre de ta gaieté, tu semblois l’avoir augmentée. Je t’ai vue tendre, empressée, attentive, mais franche dans tes caresses, naive dans tes jeux, sans mystere, sans ruses en toutes choses ; & dans tes plus vives agaceries la joie de l’innocence réparoit tout.

Depuis notre entretien de l’Elysée je ne suis plus contente de toi. Je te trouve triste & rêveuse. Tu te plais seule autant qu’avec ton amie ; tu n’as pas changé de langage, mais d’accent ; tes plaisanteries sont plus timides ; tu n’oses plus parler de lui si souvent : on diroit que tu crains toujours qu’il ne t’écoute & l’on voit à ton inquiétude que tu attends de ses nouvelles plutôt que tu n’en demandes.

Je tremble, bonne cousine, que tu ne sentes pas tout ton mal & que le trait ne soit enfoncé plus avant que tu n’as paru le craindre. Crois-moi, sonde bien ton cœur malade ; dis-toi bien, je le répete, si, quelque sage qu’on puisse être, on peut sans risque demeurer long-tems avec ce qu’on aime & si la confiance qui me perdit est tout-à-fait sans danger pour toi. Vous êtes libres tous deux, c’est précisément ce qui rend les occasions plus suspectes. Il n’y a point dans un cœur vertueux de foiblesse qui cede au remords & je conviens avec toi qu’on est toujours assez forte contre le crime ; mais, hélas ! qui peut se garantir d’être foible ? Cependant regarde les suites, songe aux effets de la honte. Il faut s’honorer pour être honorée. Comment peut-on mériter le respect d’autrui sans en avoir pour soi-même &