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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/138

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elle n’est fondée sur l’estime de la vertu. Il ne s’agit point d’épuiser sa bourse & de verser l’argent à pleines mains ; je n’ai jamais vu que l’argent fît aimer personne. Il ne faut point être avare & dur, ni plaindre la misere qu’on peut soulager ; mais vous aurez beau ouvrir vos coffres, si vous n’ouvrez aussi votre cœur, celui des autres vous restera toujours fermé. C’est votre tems, ce sont vos soins, vos affections, c’est vous-même qu’il faut donner ; car, quoi que vous puissiez faire, on sent toujours que votre argent n’est point vous. Il y a des témoignages d’intérêt & de bienveillance qui font plus d’effet, & sont réellement plus utiles que tous les dons : combien de malheureux, de malades ont plus besoin de consolations que d’aumônes ! combien d’opprimés à qui la protection sert plus que l’argent ! Raccommodez les gens qui se brouillent, prévenez les procès, portez les enfans au devoir, les peres à l’indulgence, favorisez d’heureux mariages, empêchez les vexations, employez, prodiguez le crédit des parens de votre Éleve en faveur du foible à qui on refuse justice, & que le puissant accable. Déclarez-vous hautement le protecteur des malheureux. Soyez juste, humain, bienfaisant. Ne faites pas seulement l’aumône, faites la charité ; les œuvres de miséricorde soulagent plus de maux que l’argent : aimez les autres, & ils vous aimeront ; servez-les, & ils vous serviront ; soyez leur frere, & ils seront vos enfans.

C’est encore ici une des raisons pourquoi je veux élever Émile à la campagne, loin de la canaille des valets, les derniers des hommes après leurs maîtres ; loin des noires