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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/140

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vous allez être surpris du tour étrange qu’ont pris vos raisonnemens dans son esprit : il confond tout, il renverse tout, il vous impatiente, il vous désole quelquefois par des objections imprévues. Il vous réduit a vous taire, ou à le faire taire : & que peut-il penser de ce silence de la part d’un homme qui aime tant à parler ? Si jamais il remporte cet avantage, & qu’il s’en apperçoive, adieu l’éducation ; tout est fini dès ce moment, il ne cherche plus à s’instruire, il cherche à vous réfuter.

Maîtres zelés, soyez simples, discrets, retenus ; ne vous hâtez jamais d’agir que pour empêcher d’agir les autres ; je le répéterai sans cesse, renvoyez, s’il se peut, une bonne instruction, de peur d’en donner une mauvaise. Sur cette terre dont la nature eût fait le premier paradis de l’homme, craignez d’exercer l’emploi du tentateur en voulant donner à l’innocence la connoissance du bien & du mal : ne pouvant empêcher que l’enfant ne s’instruise au-dehors par des exemples, bornez toute votre vigilance à imprimer ces exemples dans son esprit sous l’image qui lui convient.

Les passions impétueuses produisent un grand effet sur l’enfant qui en est témoin, parce qu’elles ont des signes très-sensibles qui le frappent & le forcent d’y faire attention. La colere sur-tout est si bruyante dans ses emportemens, qu’il est impossible de ne pas s’en appercevoir étant à portée. Il ne faut pas demander si c’est là pour un pédagogue l’occasion d’entamer un beau discours. Eh ! point de beaux discours : rien du tout, pas un seul mot. Laissez venir l’enfant : étonné du spectacle, il ne manquera pas de vous questionner. La