Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/144

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liberté que de la propriété ; &, pour qu’il puisse avoir cette idée, il faut qu’il ait quel que chose en propre. Lui citer ses hardes, ses meubles, ses jouets. c’est ne lui rien dire ; puisque, bien qu’il dispose de ces choses, il ne sait ni pourquoi ni comment il les a. Lui dire qu’il les a parce qu’on les lui a données, c’est ne faire guère mieux ; car, pour donner il faut avoir : voilà donc une propriété antérieure a la sienne ; & c’est le principe de la propriété qu’on lui veut expliquer ; sans compter que le don est une convention, & que l’enfant ne peut savoir encore ce que c’est que convention [1]. Lecteurs, remarquez, je vous prie, dans cet exemple et dans cent mille autres, comment, fourrant dans la tête des enfans des mots qui n’ont aucun sens à leur portée, on croit pourtant les avoir fort bien instruits.

Il s’agit donc de remonter à l’origine de la propriété ; car c’est de là que la première idée en doit naître. L’enfant, vivant à la campagne, aura pris quelque notion des travaux champêtres ; il ne faut pour cela que des yeux, du loisir, & il aura l’un et l’autre. Il est de tout âge, surtout du sien, de vouloir créer, imiter, produire, donner des signes de puissance & d’activité. Il n’aura pas vu deux fois labourer un jardin, semer, lever, croître des légumes, qu’il voudra jardiner à son tour.

Par les principes ci-devant établis, je ne m’oppose point

  1. Voilà pourquoi la plupart des enfans veulent ravoir ce qu’ils ont donné, & pleurent quand on ne le leur veut pas rendre. Cela leur arrive plus quand ils ont bien conçu ce que c’est que don : seulement ils sont alors plus circonspecte à donner.