Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/165

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quelques éléments de géométrie, on croit bien prouver contre moi ; & tout au contraire, C’est pour moi qu’on prouve : on montre que, loin de savoir raisonner d’eux-mêmes, ils ne savent pas même retenir les raisonnements d’autrui ; car suivez ces petits géomètres dans leur méthode, vous voyez aussitôt qu’ils n’ont retenu que l’exacte impression de la figure & les termes de la démonstration. À la moindre objection nouvelle, ils n’y sont plus ; renversez la figure, ils n’y sont plus. Tout leur savoir est dans la sensations, rien n’a passé jusqu’à l’entendement. Leur mémoire elle-même n’est guère plus parfaite que leurs autres facultés, puisqu’il faut presque toujours qu’ils rapprennent, étant grands, les choses dont ils ont appris les mots dans l’enfance.

Je suis cependant bien éloigné de penser que les enfans n’aient aucune espèce de raisonnement [1]. Au contraire, je vois qu’ils raisonnent très bien dans tout ce qu’ils connaissent & qui se rapporte à leur intérêt présent & sensible. Mais c’est sur leurs connaissances que l’on se trompe en leur prêtant celles qu’ils n’ont pas, & les faisant raisonner sur ce qu’ils ne sauraient comprendre. On se trompe encore

  1. J’ai fait cent fois réflexion, en écrivant, qu’il est impossible, dans un long ouvrage, de donner toujours les mêmes sens aux mêmes mots. Il n’y a point de Langue assez riche pour fournir autant de termes, de tours & de phrases que nos idées peuvent avoir de modifications. La méthode de définir tous les termes, & de substituer sans cesse la définition à la place du défini, est belle, mais impraticable ; car comment éviter le cercle ? Les définitions pourraient être bonnes si l’on pas des mots pour les faire. Malgré cela, je suis persuadé qu’on peut être clair, même dans la pauvreté de notre