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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/181

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Je demande si c’est à des enfans de six ans qu’il faut apprendre qu’il y a des hommes qui flattent & mentent pour leur profit ? On pourroit tout au plus leur apprendre qu’il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons, & se moquent en secret de leur sotte vanité : mais le fromage gâte tout ; on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec, qu’à le faire tomber du bec d’un autre. C’est ici mon second paradoxe, & ce n’est pas le moins important.

Suivez les enfans apprenant leurs fables, & vous verrez que quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font presque toujours une contraire à l’intention de l’Auteur, & qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable précédente, les enfans se moquent du corbeau, mais ils s’affectionnent tous au renard. Dans la fable qui suit ; vous croyez leur donner la cigale pour exemple, & point du tout, c’est la fourmi qu’ils choisiront. On n’aime point à s’humilier ; ils prendront toujours le beau rôle ; c’est le choix de l’amour-propre, c’est un choix très-naturel. Or, quelle horrible leçon pour l’enfance ! Le plus odieux de tous les monstres seroit un enfant avare & dur, qui sauroit ce qu’on lui demande & ce qu’il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.

Dans toutes les fables où le lion est un des personnages, comme c’est d’ordinaire le plus brillant, l’enfant ne manque point de se faire lion ; & quand il préside à quelque partage,