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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/203

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prendre ! Pourquoi consumer le tems à des instructions qui viennent toujours d’elles-mêmes, & ne coûtent ni peines ni soins ? Quel enfant de douze ans ne sait pas tout ce que vous voulez apprendre au vôtre, & de plus, ce que ses maîtres lui ont appris ?

Messieurs, vous vous trompez : j’enseigne à mon Éleve un art très-long, très-pénible, & que n’ont assurément pas les vôtres ; c’est celui d être ; car la science de quiconque ne croit savoir que ce qu’il sait, se réduit à bien peu de chose. Vous donnez la science, à la bonne heure ; moi je m’occupe de l’instrument propre à l’acquérir. On dit qu’un jour les Vénitiens montrant en grande pompe leur trésor de Saint Marc à un Ambassadeur d’Espagne, celui-ci pour tout compliment, ayant regardé sous les tables, leur dit : Qui non c’è la radice. Je ne vois jamais un Précepteur étaler le savoir de son disciple, sans être tenté de lui en dire autant.

Tous ceux qui ont réfléchi sur la maniere de vivre des Anciens, attribuent aux exercices de la gymnastique cette vigueur de corps & d’ame qui les distingue le plus sensiblement des Modernes. La maniere dont Montaigne appuye ce sentiment, montre qu’il en étoit  fortement pénétré ; il y revient sans cesse & de mille façons. En parlant de l’éducation d’un enfant, pour lui roidir l’ame, il faut, dit-il, lui durcir les muscles ; en l’accoutumant au travail, on l’accoutume à la douleur ; il le faut rompre à l’âpreté des exercices, pour le dresser à l’âpreté de la dislocation, de la colique & de tous les maux. Le sage Locke, le bon Rollin, le savant Fleuri, le