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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/205

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Il y a des couleurs gaies & des couleurs tristes ; les premieres sont plus du goût des enfans ; elles leur siéent mieux aussi, & je ne vois pas pourquoi l’on ne consulteroit pas en ceci des convenances si naturelles ; mais du moment qu’ils préferent une étoffe parce qu’elle est riche, leurs cœurs sont déjà livrés au luxe, à toutes les fantaisies de l’opinion, & ce goût ne leur est surement pas venu d’eux-mêmes. On ne sauroit dire combien le choix des vêtemens & les motifs de ce choix influent sur l’éducation. Non-seulement d’aveugles meres promettent à leurs enfans des parures pour récompense ; on voit même d’insensés Gouverneurs menacer leurs Éleves d’un habit plus grossier & plus simple, comme d’un châtiment. Si vous n’étudiez mieux, si vous ne conservez mieux vos hardes, on vous habillera comme ce petit paysan. C’est comme s’ils leur disoient : Sachez que l’homme n’est rien que par ses habits, que votre prix est tout dans les vôtres. Faut-il s’étonner que de si sages leçons profitent à la jeunesse, qu’elle n’estime que la parure & qu’elle ne juge du mérite que sur le seul extérieur ?

Si j’avois à remettre la tête d’un enfant ainsi gâté, j’aurois soin que ses habits les plus riches fussent les plus incommodes ; qu’il y fût toujours gêné, toujours contraint, toujours assujetti de mille manieres ; je ferois fuir la liberté, la gaieté devant sa magnificence : s’il vouloit se mêler aux jeux d’autres enfans plus simplement mis, tout cesseroit, tout disparoîtroit à l’instant. Enfin, je l’ennuyerois, je le rassasierois tellement de son faste, je le rendrois tellement l’esclave de son habit doré, que j’en ferois le fléau de sa vie, & qu’il