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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/213

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selon le besoin : s’il s’éveille trop tard, il me trouve parti. Il y aura du malheur si bientôt il n’apprend à s’éveiller de lui-même.

Au reste, s’il arrivoit, ce qui est rare, que quelqu’enfant indolent eût du penchant à croupir dans la paresse, il ne faut point le livrer à ce penchant, dans lequel il s’engourdiroit tout-à-fait, mais lui administrer quelque stimulant qui l’éveille. On conçoit bien qu’il n’est pas question de le faire agir par force, mais de l’émouvoir par quelque appétit qui l’y porte, & cet appétit, pris avec choix dans la nature, nous mene à la fois à deux fins.

Je n’imagine rien dont, avec un peu d’adresse, on ne pût inspirer le goût, même la fureur aux enfans, sans vanité, sans émulation, sans jalousie. Leur vivacité, leur esprit imitateur suffisent ; sur-tout leur gaieté naturelle, instrument dont la prise est sûre, & dont jamais précepteur ne sçut s’aviser. Dans tous les jeux où ils sont bien persuadés que ce n’est que jeu, ils souffrent sans se plaindre, & même en riant, ce qu’ils ne souffriroient jamais autrement, sans verser des torrens de larmes. Les longs jeûnes, les coups, la brûlure, les fatigues de toute espece sont les amusemens des jeunes Sauvages ; preuve que la douleur même a son assaisonnement, qui peut en ôter l’amertume ; mais il n’appartient pas à tous les maîtres de savoir apprêter ce ragoût, ni peut-être à tous les disciples de le savourer sans grimace. Me voilà de nouveau, si je n’y prends garde, égaré dans les exceptions.

Ce qui n’en souffre point est cependant l’assujettissement de l’homme à la douleur, aux maux de son espece, aux accidens,