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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/266

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vent la supporter, il la faut transformer par le feu, la bouillir, la rôtir, l’assaisonner de drogues qui la déguisent ; il te faut des Chaircuitiers, des Cuisiniers, des Rôtisseurs, des gens pour t’ôter l’horreur du meurtre & t’habiller des corps morts, afin que le sens du goût trompé par ces déguisemens, ne rejette point ce qui lui est étrange, & savoure avec plaisir des cadavres dont l’œil même eût peine à souffrir l’aspect. ”

Quoique ce morceau soit étranger à mon sujet, je n’ai pu résister à la tentation de le transcrire, & je crois que peu de Lecteurs m’en sauront mauvais gré.

Au reste, quelque sorte de régime que vous donniez aux enfans, pourvu que vous ne les accoutumiez qu’à des mets communs & simples, laissez-les manger, courir & jouer tant qu’il leur plait, & soyez sûrs qu’ils ne mangeront jamais trop & n’auront point d’indigestions : mais si vous les affamez la moitié du tems, et qu’ils trouvent le moyen d’échapper à votre vigilance, ils se dédommageront de toute leur force, ils mangeront jusqu’à regorger, jusqu’à crever. Notre appétit n’est démesuré que parce que nous voulons lui donner d’autres regles que celles de la nature. Toujours réglant, prescrivant, ajoutant, retranchant, nous ne faisons rien que la balance à la main ; mais cette balance est à la mesure de nos fantaisies, & non pas à celle de notre estomac. J’en reviens toujours à mes exemples. Chez les Paysans, la huche & le fruitier sont toujours ouverts, & les enfans, non plus que les hommes, n’y savent ce que c’est qu’indigestions.