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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/300

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qu’un Sorcier. Sans cesse frappés d’effets dont nous ignorons les causes, nous ne nous pressons de juger de rien, & nous restons en repos dans notre ignorance, jusqu’à ce que nous trouvions l’occasion d’en sortir.

De retour au logis, à force de parler du canard de la foire, nous allons nous mettre en tête de l’imiter : nous prenons une bonne aiguille bien aimantée, nous l’entourons de cire blanche, que nous façonnons de notre mieux en forme de canard, de sorte que l’aiguille traverse le corps & que la tête fasse le bec. Nous posons sur l’eau le canard, nous approchons du bec un anneau de clef, & nous voyons avec une joie facile à comprendre que notre canard suit la clef, précisément comme celui de la foire suivoit le morceau de pain. Observer dans quelle direction le canard s’arrête sur l’eau quand on l’y laisse en repos, c’est ce que nous pourrons faire une autre fois. Quant à présent tout occupés de notre objet, nous n’en voulons pas davantage.

Dès le même soir nous retournons à la foire avec du pain préparé dans nos poches, & sitôt que le Joueur de gobelets a fait son tour, mon petit docteur, qui se contenoit à peine lui dit que ce tour n’est pas difficile, & que lui-même en fera bien autant : il est pris au mot. À l’instant il tire de sa poche le pain où est caché le morceau de fer : en approchant de la table le cœur lui bat ; il présente le pain presque en tremblant ; le canard vient & le suit ; l’enfant s’écrie & tressaillit d’aise. Aux battemens de mains, aux acclamations de l’assemblée la tête lui tourne, il est hors de lui. Le Bateleur interdit, vient pourtant l’embrasser, le fé-