Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/338

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boire, il brûle d’être hors de table pour m’entretenir à son aise. Quel objet pour sa curiosité ! Quel texte pour son instruction ! Avec un jugement sain que rien n’a pu corrompre, que pensera-t-il du luxe, quand il trouvera que toutes les régions du monde ont été mises à contribution, que vingt millions de mains ont peut-être, ont longtemps travaillé, qu’il en a coûté la vie peut-être à des milliers d’hommes & tout cela pour lui présenter en pompe à midi ce qu’il va déposer le soir dans sa garde-robe ?

Epiez avec soin les conclusions secrètes qu’il tire en son cœur de toutes ces observations. Si vous l’avez moins bien gardé que je ne le suppose, il peut être tenté de tourner ses réflexions dans un autre sens, & de se regarder comme un personnage important au monde, en voyant tant de soins concourir pour apprêter son dîner. Si vous pressentez ce raisonnement vous pouvez aisément le prévenir avant qu’il le fasse, ou du moins en effacer aussitôt l’impression. Ne sachant encore s’approprier les choses que par une jouissance matérielle, il ne peut juger de leur convenance ou disconvenance avec lui que par des rapports sensibles. La comparaison d’un dîner simple & rustique, préparé par l’exercice, assaisonné par la faim, par la liberté, par la joie, avec son festin si magnifique & si compassé, suffira pour lui faire sentir que tout l’appareil du festin ne lui ayant donné aucun profit réel, & son estomac sortant tout aussi content de la table du paysan que de celle du financier, il n’y avoit rien à l’un de plus qu’à l’autre qu’il pût appeler véritablement sien.

Imaginons ce qu’en pareil cas un gouverneur pourra lui