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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/345

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pourvoir doivent être par-tout égaux. Appropriez l’éducation de l’homme à l’homme, & non pas à ce qui n’est point lui. Ne voyez-vous pas qu’en travaillant à le former exclusivement pour un état, vous le rendez inutile à tout autre ; & que s’il plait à la fortune, vous n’aurez travaillé qu’à le rendre malheureux ? Qu’y a-t-il de plus ridicule qu’un grand Seigneur devenu gueux, qui porte dans sa misere les préjugés de sa naissance ? Qu’y a-t-il de plus vil qu’un riche appauvri, qui, se souvenant du mépris, qu’on doit à la pauvreté, se sent devenu le dernier des hommes ? L’un a pour toute ressource le métier de fripon public, l’autre celui de valet rampant avec ce beau mot : Il faut que je vive.

Vous vous fiez à l’ordre actuel de la société, sans songer que cet ordre est sujet à des révolutions inévitables, & qu’il vous est impossible de prévoir ni de prévenir celle qui peut regarder vos enfans. Le Grand devient petit, le Riche devient pauvre, le Monarque devient sujet, les coups du sort sont-ils si rares que vous puissiez compter d’en être exempt ? Nous approchons de l’état de crise & du siecle des révolutions [1]. Qui peut vous répondre de ce que vous deviendrez alors ? Tout ce qu’ont fait les hommes, les hommes peuvent le détruire : il n’y a de caracteres ineffaçables que

  1. (8) Je tiens pour impossible, que les grandes monarchies de l’Europe aient encore long-tems à durer ; toutes ont brillé, & tout État qui brille est sur son déclin. J’ai de mon opinion des raisons plus particulieres que cette maxime ; mais il n’est pas à propos de les dire, & chacun ne les voit que trop.