scabreuses. Vous êtes riche, vous me l’avez dit, & je le vois. Un riche doit aussi son travail à la société, puisqu’il est homme. Mais vous, que faites-vous donc pour elle ? Que diroit à cela un beau gouverneur ? Je l’ignore. Il seroit peut-être assez sot pour parler à l’enfant des soins qu’il lui rend. Quant à moi, l’attelier me tire d’affaire. Voilà, cher Émile, une excellente question. Je vous promets d’y répondre pour moi, quand vous y ferez pour vous-même une réponse dont vous soyez content. En attendant j’aurai soin de rendre à vous & aux pauvres ce que j’ai de trop, & de faire une table ou un banc par semaine, afin de n’être pas tout-à-fait inutile à tout.
Nous voici revenus à nous-mêmes. Voilà notre enfant prêt à cesser de l’être, rentré dans son individu. Le voilà sentant plus que jamais la nécessité qui l’attache aux choses. Après avoir commencé par exercer son corps & ses sens, nous avons exercé son esprit & son jugement. Enfin nous avons réuni l’usage de ses membres à celui de ses facultés. Nous avons fait un être agissant & pensant ; il ne nous reste plus, pour achever l’homme, que de faire un être aimant & sensible, c’est-à-dire de perfectionner la raison par le sentiment. Mais avant d’entrer dans ce nouvel ordre de choses, jettons les yeux sur celui d’où nous sortons, & voyons le plus exactement qu’il est possible jusqu’où nous sommes parvenus.
Notre Éleve n’avoit d’abord que des sensations, maintenant il a des idées ; il ne faisoit que sentir, maintenant il juge. Car de la comparaison de plusieurs sensations successives ou simultanées, & du jugement qu’on en porte, naît une