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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/379

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ces modifications ont des causes étrangeres, sans lesquelles elles n’auroient jamais lieu ; & ces mêmes modifications, loin de nous être avantageuses, nous sont nuisibles ; elles changent le premier objet, & vont contre leur principe : c’est alors que l’homme se trouve hors de la Nature, & se met en contradiction avec soi.

L’amour de soi-même est toujours bon & toujours conforme à l’ordre. Chacun étant chargé spécialement de sa propre conservation, le premier & le plus important de ses soins, est, & doit être, d’y veiller sans cesse, & comment y veilleroit-il ainsi, s’il n’y prenoit le plus grand intérêt ?

Il faut donc que nous nous aimions pour nous conserver ; il faut que nous nous aimions plus que toute chose ; & par une suite immédiate du même sentiment, nous aimons ce qui nous conserve. Tout enfant s’attache à sa nourrice : Romulus devoit s’attacher à la louve qui l’avoit allaité. D’abord cet attachement est purement machinal. Ce qui favorise le bien-être d’un individu l’attire, ce qui lui nuit le repousse ; ce n’est là qu’un instinct aveugle. Ce qui transforme cet instinct en sentiment, l’attachement en amour, l’aversion en haine, c’est l’intention manifestée de nous nuire ou de nous être utile. On ne se passionne pas pour les êtres insensibles qui ne suivent que l’impulsion qu’on leur donne ; mais ceux dont on attend du bien ou du mal par leur disposition intérieure, par leur volonté, ceux que nous voyons agir librement pour ou contre, nous inspirent des sentimens semblables à ceux qu’ils nous montrent. Ce qui nous sert, on le cherche ; mais ce qui nous veut servir, on l’aime : ce