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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/382

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avec celle-là. Sa premiere passion fait bientôt fermenter les autres.

Le penchant de l’instinct est indéterminé. Un sexe est attiré vers l’autre, voilà le mouvement de la Nature. Le choix, les préférences, l’attachement personnel sont l’ouvrage des lumieres, des préjugés, de l’habitude : il faut du tems & des connoissances pour nous rendre capables d’amour : on n’aime qu’après avoir jugé, on ne préfere qu’après avoir comparé. Ces jugemens se font sans qu’on s’en apperçoive, mais ils n’en sont pas moins réels. Le véritable amour, quoi qu’on en dise, sera toujours honoré des hommes ; car bien que ses emportemens nous égarent, bien qu’il n’exclue pas du cœur qui le sent des qualités odieuses & même qu’il en produise, il en suppose pourtant toujours d’estimables sans lesquelles on seroit hors d’état de le sentir. Ce choix qu’on met en opposition avec la raison nous vient d’elle ; on a fait l’Amour aveugle, parce qu’il a de meilleurs yeux que nous, & qu’il voit des rapports que nous ne pouvons appercevoir. Pour qui n’auroit nulle idée de mérite ni de beauté, toute femme seroit également bonne, & la premiere venue seroit toujours la plus aimable. Loin que l’amour vienne de la Nature, il est la regle & le frein de ses penchans : c’est par lui, qu’excepté l’objet aimé, un sexe n’est plus rien pour l’autre.

La préférence qu’on accorde, on veut l’obtenir ; l’amour doit être réciproque. Pour être aimé, il faut se rendre aimable ; pour être préféré, il faut se rendre plus aimable qu’un autre, plus aimable que tout autre, au moins, aux yeux de