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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/435

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emparée d’eux tous, nul ne cherche à voir les choses comme elles sont, mais comme elles s’accordent avec son systême.

Ajoutez à toutes ces réflexions, que l’Histoire montre bien plus les actions que les hommes, parce qu’elle ne saisit ceux-ci que dans certains momens choisis, dans leurs vêtemens de parade ; elle n’expose que l’homme public qui s’est arrangé pour être vu. Elle ne le suit point dans sa maison, dans son cabinet, dans sa famille, au milieu de ses amis, elle ne le peint que quand il représente : c’est bien plus son habit que sa personne qu’elle peint.

J’aimerois mieux la lecture des vies particulieres pour commencer l’étude du cœur humain ; car alors l’homme a beau se dérober, l’Historien le poursuit par-tout ; il ne lui laisse aucun moment de relâche, aucun recoin pour éviter l’œil perçant du spectateur, & c’est quand l’un croit mieux se cacher, que l’autre le fait mieux connoître. Ceux, dit Montaigne, qui écrivent les vies, d’autant qu’ils s’amusent plus aux conseils qu’aux événemens, plus à ce qui se passe au-dedans, qu’à ce qui arrive au-dehors ; ceux-là me sont plus propres ; voilà pourquoi c’est mon homme que Plutarque.

Il est vrai que le génie des hommes assemblés ou des peuples est fort différent du caractere de l’homme en particulier, & que ce seroit connoître très-imparfaitement le cœur humain que de ne pas l’examiner aussi dans la multitude ; mais il n’est pas moins vrai qu’il faut commencer par étudier l’homme pour juger les hommes, & que qui connoîtroit parfaitement les penchans de chaque individu, pour-