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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/458

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noître la cause de leur inimitié : s’il voit un opprimé gémir des vexations du puissant & du riche, il cherche de quelles manœuvres se couvrent ces vexations ; & dans l’intérêt qu’il prend à tous les misérables, les moyens de finir leurs maux ne sont jamais indifférens pour lui. Qu’avons-nous donc à faire pour tirer parti de ces dispositions d’une maniere convenable à son age ? De régler ses soins & ses connoissances, & d’employer son zele à les augmenter.

Je ne me lasse point de le redire : mettez toutes les leçons des jeunes gens en actions plutôt qu’en discours. Qu’ils n’apprennent rien dans les livres de ce que l’expérience peut leur enseigner. Quel extravagant projet de les exercer à parler sans sujet de rien dire ; de croire leur faire sentir, sur les bancs d’un College, l’énergie du langage des passions, & toute la force de l’art de persuader, sans intérêt de rien persuader à personne ! Tous les préceptes de la Rhétorique ne semblent qu’un pur verbiage à quiconque n’en sent pas l’usage pour son profit. Qu’importe à un écolier de savoir comment s’y prit Annibal pour déterminer ses soldats à passer les Alpes ? Si au lieu de ces magnifiques harangues vous lui disiez comment il doit s’y prendre pour porter son Préfet à lui donner congé, soyez sûr qu’il seroit plus attentif à vos regles.

Si je voulois enseigner la Rhétorique à un jeune homme, dont toutes les passions fussent déjà développées, je lui présenterois sans cesse des objets propres à flatter ses passions, & j’examinerois avec lui quel langage il doit tenir aux autres hommes, pour les engager à favoriser ses desirs. Mais mon