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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/464

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d’un autre par la force de l’éducation, qu’ensuite ils comparent la mienne aux effets que je lui donne, & qu’ils disent en quoi j’ai mal raisonné, je n’aurai rien à répondre.

Ce qui me rend plus affirmatif, & je crois plus excusable de l’être, c’est qu’au lieu de me livrer à l’esprit de systême, je donne le moins qu’il est possible au raisonnement, & ne me fie qu’à l’observation. Je ne me fonde point sur ce que j’ai imaginé, mais sur ce que j’ai vu. Il est vrai que je n’ai pas renfermé mes expériences dans l’enceinte des murs d’une ville, ni dans un seul ordre de gens : mais après avoir comparé tout autant de rangs & de peuples que l’en ai pu voir dans une vie passée à les observer, j’ai retranché, comme artificiel, ce qui étoit d’un peuple & non pas d’un autre, d’un état & non pas d’un autre ; & n’ai regardé, comme appartenant incontestablement à l’homme, que ce qui étoit commun à tous, à quelque âge, dans quelque rang, & dans quelque nation que ce fût.

Or, si suivant cette méthode vous suivez dès l’enfance un jeune homme qui n’aura point reçu de forme particuliere, & qui tiendra le moins qu’il est possible à l’autorité & à l’opinion d’autrui, à qui de mon Éleve ou des vôtres pensez-vous qu’il ressemblera le plus ? Voilà, ce me semble, la question qu’il faut résoudre pour savoir si je me suis égaré.

L’homme ne commence pas aisément à penser ; mais sitôt qu’il commence il ne cesse plus. Quiconque a pensé pensera toujours ; & l’entendement une fois exercé à la réflexion, ne peut plus rester en repos. On pourroit donc croire que l’esprit humain n’est point naturellement si prompt à s’ouvrir,