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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/76

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les autres. Peu-à-peu je l’accoutume à des masques moins agréables, & enfin à des figures hideuses. Si j’ai bien ménagé ma gradation, loin de s’effrayer au dernier masque, il en rira comme du premier. Après cela je ne crains plus qu’on l’effraye avec des masques.

Quand, dans les adieux d’Andromaque & d’Hector, le petit Astyanax, effrayé du panache qui flotte sur le casque de son pere, le méconnoit, se jette en criant sur le sein de sa nourrice, & arrache à sa mere un souris mêlé de larmes, que faut-il faire pour guérir cet effroi ? Précisément ce que fait Hector, poser le casque à terre, & puis caresser l’enfant. Dans un moment plus tranquille on ne s’en tiendroit pas là : on s’approcheroit du casque, on joueroit avec les plumes, on les feroit manier à l’enfant, enfin la nourrice prendroit le casque & le poseroit en riant sur sa propre tête ; si toutefois la main d’une femme osoit toucher aux armes d’Hector.

S’agit-il d’exercer Émile au bruit d’une arme à feu ? Je brûle d’abord une amorce dans un pistolet. Cette flamme brusque & passagere, cette espece d’éclair le réjouit ; je répete la même chose avec plus de poudre ; peu-à-peu j’ajoute au pistolet une petite charge sans bourre, puis une plus grande : enfin, je l’accoutume aux coups de fusil, aux boîtes, aux canons, aux détonations les plus terribles.

J’ai remarqué que les enfans ont rarement peur du tonnerre, à moins que les éclats ne soient affreux & ne blessent réellement l’organe de l’ouie : autrement cette peur ne leur vient que quand ils ont appris que le tonnerre blesse