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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/80

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besoin de mouvement & qu’on le tienne en repos, il pleure ; s’il veut dormir & qu’on l’agite, il pleure. Moins sa maniere d’être est à sa disposition, plus il demande fréquemment qu’on la change. Il n’a qu’un langage, parce qu’il n’a, pour ainsi dire, qu’une sorte de mal-être : dans l’imperfection de ses organes, il ne distingue point leurs impressions diverses ; tous les maux ne forment pour lui qu’une sensation de douleur.

De ces pleurs qu’on croiroit si peu dignes d’attention, nait le premier rapport de l’homme à tout ce qui l’environne : ici se forge le premier anneau de cette longue chaîne dont l’ordre social est formé.

Quand l’enfant pleure, il est mal à son aise, il a quelque besoin, qu’il ne sauroit satisfaire ; on examine, on cherche ce besoin, on le trouve, on y pourvoit. Quand on ne le trouve pas ou quand on n’y peut pourvoir, les pleurs continuent, on en est importuné : on flatte l’enfant pour le faire taire, on le berce, on lui chante pour l’endormir : s’il s’opiniâtre, on s’impatiente, on le menace ; des nourrices brutales le frappent quelquefois. Voilà d’étranges leçons pour son entrée à la vie.

Je n’oublierai jamais d’avoir vu un de ces incommodes pleureurs ainsi frappé par sa nourrice. Il se tut sur le champ, je le crus intimidé. Je me disois, ce sera une ame servile dont on n’obtiendra rien que par la rigueur. Je me trompois ; le malheureux suffoquoit de colere, il avoit perdu la respiration, je le vis devenir violet. Un moment après vinrent les cris aigus ; tous les signes du ressenti-