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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t4.djvu/95

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que la parole ; c’est peut-être pour cela que les gens bien élevés le craignent tant. C’est de l’usage de tout dire sur le même ton qu’est venu celui de persiffler les gens sans qu’ils le sentent. À l’accent proscrit succedent des manieres de prononcer ridicules, affectées, & sujettes à la mode, telles qu’on les remarque sur-tout dans les jeunes gens de la Cour. Cette affectation de parole & de maintien est ce qui rend généralement l’abord du François repoussant & désagréable aux autres Nations. Au lieu de mettre de l’accent dans son parler, il y met de l’air. Ce n’est pas le moyen de prévenir en sa faveur.

Tous ces petits défauts de langage qu’on craint tant de laisser contracter aux enfans ne sont rien, on les prévient ou l’on les corrige avec la plus grande facilité ; mais ceux qu’on leur fait contracter en rendant leur parler sourd, confus, timide, en critiquant incessamment leur ton, en épluchant tous leurs mots, ne se corrigent jamais. Un homme qui n’apprit à parler que dans les ruelles, se fera mal entendre à la tête d’un Bataillon, & n’en imposera gueres au peuple dans une émeute. Enseignez premierement aux enfans à parler aux hommes ; ils sauront bien parler aux femmes quand il faudra.

Nourris à la campagne dans toute la rusticité champêtre, vos enfans y prendront une voix plus sonore, ils n’y contracteront point le confus bégayement des enfans de la Ville ; ils n’y contracteront pas non plus les expressions ni le ton du Village, ou du moins ils les perdront aisément, lorsque le Maître vivant avec eux dès