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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/142

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gues ; je la crois, moi, la plus obscene : car il me semble que la chasteté d’une langue ne consiste pas à éviter avec soin les tours déshonnêtes, mais à ne les pas avoir. En effet, pour les éviter, il faut qu’on y pense ; & il n’y a point de langue où il soit plus difficile de parler purement en tout sens que la Françoise. Le Lecteur, toujours plus habile à trouver des sens obscenes que l’Auteur à les écarter, se scandalise & s’effarouche de tout. Comment ce qui passe par des oreilles impures ne contracteroit-il pas leur souillure ? Au contraire, un peuple de bonnes mœurs a des termes propres pour toutes choses ; & ces termes sont toujours honnêtes, parce qu’ils sont toujours employés honnêtement. Il est impossible d’imaginer un langage plus modeste que celui de la Bible, précisément parce que tout y est dit avec naïveté. Pour rendre immodestes les mêmes choses, il suffit de les traduire en François. Ce que je dois dire à mon Émile n’aura rien que d’honnête & de chaste à son oreille ; mais pour le trouver tel à la lecture, il faudroit avoir un cœur aussi pur que le sien.

Je penserois même que des réflexions sur la véritable pureté du discours & sur la fausse délicatesse du vice, pourroient tenir une place utile dans les entretiens de morale où ce sujet nous conduit ; car en apprenant le langage de l’honnêteté, il doit apprendre aussi celui de la décence, & il faut bien qu’il sache pourquoi ces deux langages sont si différens. Quoiqu’il en soit, je soutiens qu’au lieu des vains préceptes dont on rebat avant le tems les oreilles de la Jeunesse, & dont elle se moque à l’âge où ils seroient de saison ; si l’on attend, si l’on prépare le moment de se faire entendre ; qu’alors on