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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/151

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le vrai. C’est ce que je crois voir dans l’expédient qu’elle me suggere ici. Si je veux être austere & sec avec mon disciple, je perdrai sa confiance, & bientôt il se cachera de moi. Si je veux être complaisant, facile, ou fermer les yeux, de quoi lui sert d’être sous ma garde ? Je ne fais qu’autoriser son désordre, & soulager sa conscience aux dépens de la mienne. Si je l’introduis dans le monde avec le seul projet de l’instruire, il s’instruira plus que je ne veux. Si je l’en tiens éloigné jusqu’à la fin, qu’aura-t-il appris de moi ? Tout, peut-être, hors l’art le plus nécessaire à l’homme & au citoyen, qui est de savoir vivre avec ses semblables. Si je donne à ces soins une utilité trop éloignée, elle sera pour lui comme nulle, il ne fait cas que du présent ; si je me contente de lui fournir des amusemens, quel bien lui fais-je ? Il s’amollit & ne s’instruit point.

Rien de tout cela. Mon expédient seul pourvoit à tout. Ton cœur, dis-je au jeune homme, a besoin d’une compagne : allons chercher celle qui te convient ; nous ne la trouverons pas aisément, peut-être, le vrai mérite est toujours rare ; mais ne nous pressons, ni ne nous rebutons point. Sans doute il en est une, & nous la trouverons à la fin, ou du moins celle qui en approche le plus. Avec un projet si flatteur pour lui je l’introduis dans le monde ; qu’ai-je besoin d’en dire davantage ? Ne voyez-vous pas que j’ai tout fait ?

En lui peignant la maîtresse que je lui destine, imaginez si je saurai m’en faire écouter ; si je saurai lui rendre agréables & chéres les qualités qu’il doit aimer ; si je saurai disposer tous ses sentimens à ce qu’il doit rechercher ou fuir ?