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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/164

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Montaigne dit qu’il demandoit un jour au Seigneur de Langey combien de fois, dans ses négociations d’Allemagne, il s’étoit enivré pour le service du Roi. Je demanderois volontiers au gouverneur de certain jeune homme combien de fois il est entré dans un mauvais lieu pour le service de son Éleve. Combien de fois ? je me trompe. Si la premiere n’ôte à jamais au libertin le desir d’y rentrer ; s’il n’en rapporte le repentir & la honte ; s’il ne verse dans votre sein des torrens de larmes, quittez-le à l’instant ; il n’est qu’un monstre, ou vous n’êtes qu’un imbécille ; vous ne lui servirez jamais à rien. Mais laissons ces expédiens extrêmes aussi tristes que dangereux, & qui n’ont aucun rapport à notre éducation.

Que de précautions à prendre avec un jeune homme bien né, avant de l’exposer au scandale des mœurs du siecle ! Ces précautions sont pénibles, mais elles sont indispensables ; c’est la négligence en ce point qui perd toute la jeunesse ; c’est par le désordre du premier âge que les hommes dégénerent, & qu’on les voit devenir ce qu’ils sont aujourd’hui. Vils & lâches dans leurs vices mêmes, ils n’ont que de petites âmes, parce que leurs corps usés ont été corrompus de bonne heure ; à peine leur reste-t-il assez de vie pour se mouvoir. Leurs subtiles pensées marquent des esprits sans étoffe, ils ne savent rien sentir de grand & de noble ; ils n’ont ni simplicité ni vigueur. Abjects en toute chose, & bassement méchans, ils ne sont que vains, fripons, faux ; ils n’ont pas même assez de courage pour être d’illustres scélérats. Tels sont les méprisables hommes que forme la {tiret|cra|pule}}