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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/202

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agréables : voilà dans quel esprit on jouit ; tout le reste n’est qu’illusion, chimere, sotte vanité. Quiconque s’écartera de ces regles, quelque riche qu’il puisse être, mangera son or en fumier, & ne connoîtra jamais le prix de la vie.

On m’objectera, sans doute, que de tels amusemens sont à la portée de tous les hommes, & qu’on n’a pas besoin d’être riche pour les goûter. C’est précisément à quoi j’en voulois venir. On a du plaisir quand on en veut avoir : c’est l’opinion seule qui rend tout difficile, qui chasse le bonheur devant nous ; & il est cent fois plus aisé d’être heureux, que de le paroître. L’homme de goût, & vraiment voluptueux, n’a que faire de richesse ; il lui suffit d’être libre & maître de lui. Quiconque jouit de la santé & ne manque pas du nécessaire, s’il arrache de son cœur les biens de l’opinion, est assez riche : c’est l’aurea mediocritas d’Horace. Gens à coffres-forts, cherchez donc quelque autre emploi de votre opulence ; car pour le plaisir, elle n’est bonne à rien. Émile ne saura pas tout cela mieux que moi ; mais ayant le cœur plus pur & plus sain, il le sentira mieux encore, & toutes ses observations dans le monde ne feront que le lui confirmer.

En passant ainsi le tems, nous cherchons toujours Sophie, & nous ne la trouvons point. Il importoit qu’elle ne se trouvât pas si vîte, & nous l’avons cherchée où j’étois bien sûr qu’elle n’étoit pas [1].

Enfin le moment presse ; il est tems de la chercher tout

  1. (49) Mulierem fortem quis inveniet ? Procul, & de ultimis finibus pretium ejus. Prov. XXXI. 10.