Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/23

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Cette résolution fut précisément ce qui me perdit ; mon respect pour le lit d’autrui laissa mes fautes à découvert. Il fallut expier le scandale : arrêté, interdit, chassé, je fus bien plus la victime de mes scrupules que de mon incontinence ; & j’eus lieu de comprendre, aux reproches dont ma disgrâce fut accompagnée, qu’il ne faut souvent qu’aggraver a faute pour échapper au châtiment.

Peu d’expériences pareilles mènent loin un esprit réfléchit. Voyant par de tristes observations renverser les idées que j’avois du juste, de l’honnête, & de tous les devoirs de l’homme, je perdois chaque jour quelqu’une des opinions que j’avais reçues ; celles qui me restoient ne suffisant plus pour faire ensemble un corps qui pût se soutenir par lui-même, je sentis peu à peu s’obscurcir dans mon esprit l’évidence des principes, &, réduit enfin à ne savoir plus que penser, je parvins au même point où vous êtes ; avec cette différence, que mon incrédulité, fruit tardif d’un âge plus mur, s’étoit formée avec plus de peine, & devoit être plus difficile à détruire.

J’étois dans ces dispositions d’incertitude & de doute que Descartes exige pour la recherche de la vérité. Cet état est peu fait pour durer, il est inquiétant & pénible ; il n’y a que l’intérêt du vice ou la paresse de l’âme qui nous y laisse. Je n’avais point le cœur assez corrompu pour m’y plaire ; & rien ne conserve mieux l’habitude de réfléchir e d’être plus content de soi que de sa fortune.

Je méditois donc sur le triste sort des mortels flottant sur cette mer des opinions humaines, sans gouvernail, sans