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Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/235

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elle seroit son esclave : c’est par cette supériorité de talent qu’elle se maintient son égale, & qu’elle le gouverne en lui obéissant. La femme a tout contre elle, nos défauts, sa timidité, sa foiblesse ; elle n’a pour elle que son art & sa beauté. N’est-il pas juste qu’elle cultive l’un & l’autre ? Mais la beauté n’est pas générale ; elle périt par mille accidens, elle passe avec les années, l’habitude en détruit l’effet. L’esprit seul est la véritable ressource du sexe : non ce sot esprit auquel on donne tant de prix dans le monde, & qui ne sert à rien pour rendre la vie heureuse ; mais l’esprit de son état, l’art de tirer parti du nôtre, & de se prévaloir de nos propres avantages. On ne sait pas combien cette adresse des femmes nous est utile à nous-mêmes, combien elle ajoute de charme à la société des deux sexes, combien elle sert à réprimer la pétulance des enfans, combien elle contient de maris brutaux, combien elle maintient de bons ménages que la discorde troubleroit sans cela. Les femmes artificieuses & méchantes en abusent, je le sais bien : mais de quoi le vice n’abuse-t-il pas ? Ne détruisons point les instrumens du bonheur, parce que les méchants s’en servent quelquefois à nuire.

On peut briller par la parure, mais on ne plaît que par la personne ; Nos ajustemens ne sont point nous : souvent ils déparent à force d’être recherchés, & souvent ceux qui font le plus remarquer celle qui les porte sont ceux qu’on remarque le moins. L’éducation des jeunes filles est en ce point tout-à-fait à contre-sens. On leur promet des ornemens pour récompense, on leur fait aimer les atours recher-