Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/270

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fond l’esprit de l’homme, non par abstraction l’esprit de l’homme en général, mais l’esprit des hommes qui l’entourent, l’esprit des hommes auxquels elle est assujettie, soit par la loi, soit par l’opinion. Il faut qu’elle apprenne a pénétrer leurs sentiments par leurs discours, par leurs actions, leurs regards, par leurs gestes. Il faut que, par ses discours, par ses actions, par ses regards, par ses gestes, elle sache leur donner les sentiments qu’il lui plaît, sans même paraître y songer. Ils philosopheront mieux qu’elle sur le cœur humain ; mais elle lira mieux qu’eux dans le cœur des hommes. C’est aux femmes à trouver pour ainsi dire la morale expérimentale, à nous à la réduire en système. La femme a plus d’esprit, & l’homme plus de génie ; la femme observe, et l’homme raisonne : de ce concours résultent la lumière la plus claire & la science la plus complète que puisse acquérir de lui-même l’esprit humain, la plus sûre connaissance, en un mot, de soi & des autres qui soit à la portée de notre espèce. & voilà comment l’art peut tendre incessamment à perfectionner l’instrument donné par la nature.

Le monde est le livre des femmes : quand elles y lisent mal, c’est leur faute ; ou quelque passion les aveugle. Cependant la véritable mère de famille, loin d’être une femme monde n’est guère moins recluse dans sa maison que religieuse dans son cloître. Il faudroit donc faire, pour les jeunes personnes qu’on marie, comme on fait ou comme on doit faire pour celles qu’on met dans des couvents : leur montrer les plaisirs qu’elles quittent avant de les y laisser renoncer, de peur que la fausse image de ces plaisirs qui