Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/288

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dans son enfance ; mais peu à peu sa mère a pris soin de réprimer ses airs évaporés, de peur que bientôt un changement trop subit n instruisît du moment qui l’avoit rendu nécessaire. Elle est donc devenue modeste et réservée même avant le temps de l’être ; & maintenant que ce temps est venu, il lui est plus aisé de garder le ton qu’elle a pris, qu’il ne lui seroit de le prendre sans indiquer la raison de ce changement. C’est une chose plaisante de la voir se livrer quelquefois par un reste d’habitude à des vivacités de l’enfance, puis tout d’un coup rentrer en elle-même, se taire, baisser les yeux & rougir : il faut bien que le terme intermédiaire entre les deux âges participe un peu de chacun des deux.

Sophie est d’une sensibilité trop grande pour conserver une parfaite égalité d’humeur, mais elle a trop de douceur pour que cette sensibilité soit fort importune aux autres ; c’est à elle seule qu’elle fait du mal. Qu’on dise un seul mot qui la blesse, elle ne boude pas, mais son cœur se gonfle ; elle tâche des échapper pour aller pleurer. Qu’au milieu de ses pleurs son père ou sa mère la rappelle, & dise un seul mot, elle vient à l’instant jouer & rire en s’essuyant adroitement les yeux & tâchant d’étouffer ses sanglots.

Elle n’est pas non plus tout à fait exempte de caprice : son humeur un peu trop poussée dégénère en mutinerie, & alors elle est sujette à s’oublier. Mais laissez-lui le temps de revenir à elle, & sa manière d’effacer son tort lui en fera presque un mérite. Si on la punit ; elle est docile & soumise, & l’on voit que sa honte ne vient pas tant du châtiment que de la faute. Si on ne lui dit rien, jamais elle ne manque de