Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/303

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que je porte incessamment dans mon cœur, verse les secrets du tien dans le sein de ta mère. Quels sont donc ces secrets qu’une mère ne peut savoir ? Qui est-ce qui plaint tes peines, qui est-ce qui les partage, qui est-ce qui veut les soulager, si ce n’est ton père & moi ? Ah ! mon enfant, veux-tu que je meure de ta douleur sans la connaître ?

Loin de cacher ses chagrins à sa mère, la jeune fille ne demandoit pas mieux que de l’avoir pour consolatrice & pour confidente ; mais la honte l’empêchoit de parler, & sa modestie ne trouvoit point de langage pour décrire un état si peu digne d’elle que l’émotion qui troubloit ses sens malgré qu’elle en eût. Enfin, sa honte même servant d’indice à sa mère, elle lui arracha ces humiliants aveux. Loin de l’affliger par d’injustes réprimandes, elle la consola, la plaignit, pleura sur elle ; elle étoit trop sage pour lui faire un crime d’un mal que sa vertu seule rendait si cruel. Mais pourquoi supporter sans nécessité un mal dont le remède étoit si facile & si légitime ? Que n’usait-elle de la liberté qu’on lui avoit donnée ? Que n’acceptoit-elle un mari ? que ne le choisissoit-elle ? Ne savoit-elle pas que son sort dépendoit d’elle seule, & que, quel que fût son choix, il seroit confirmé, puisqu’elle n’en pouvoit faire un qui ne fût honnête ? On l’avoit envoyée à la ville, elle n’y avoit point voulu rester ; plusieurs partis s’étoient présentés, elle les avait tous rebutés. Qu’attendoit-elle donc ? que vouloit-elle ? Quelle inexplicable contradiction !

La réponse étoit simple. S’il ne s’agissoit que d’un secours pour la jeunesse, le choix seroit bientôt fait ; mais un maître