Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/381

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attitude presque menaçante : Ce que je ferois ?... je n’en sais rien ; mais ce que je sais, c’est que je ne reverrois de ma vie celui qui me l’auroit appris. Rassurez-vous, répondis-je en souriant : elle vit, elle se porte bien, elle pense à vous, & nous sommes attendus ce soir. Mais allons faire un tour de promenade, & nous causerons.

La passion dont il est préoccupé ne lui permet plus de se livrer, comme auparavant, à des entretiens purement raisonnés : il faut l’intéresser par cette passion même à se rendre attentif à mes leçons. C’est ce que j’ai fait par ce terrible préambule ; je suis bien sûr maintenant qu’il m’écoutera.

"Il faut être heureux, cher Emile : c’est la fin de tout être sensible ; c’est le premier désir que nous imprima la nature, & le seul qui ne nous quitte jamais. Mais où est le bonheur ? qui le sait ? Chacun le cherche, & nul ne le trouve. On use la vie à le poursuivre & l’on meurt sans l’avoir atteint. Mon jeune ami, quand à ta naissance je te pris dans mes bras, & qu’attestant l’Etre suprême de l’engagement que j’osai contracter, je vouai mes jours au bonheur des tiens, savois moi-même à quoi je m’engageais ? Non : je savois seulement qu’en te rendant heureux j’étois sûr de l’être. En faisant pour toi cette utile recherche, je la rendois commune à tous deux."

"Tant que nous ignorons ce que nous devons faire, la sagesse consiste à rester dans l’inaction. C’est de toutes les maximes celle dont l’homme a le plus grand besoin, & celle qu’il sait le moins suivre. Chercher le bonheur sans