Page:Rousseau - Collection complète des œuvres t5.djvu/404

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servir de modèles à l’art ; la figure des Romains eux-mêmes a changé de caractère, ainsi que leur naturel ; les Persans, originaires de Tartarie, perdent chaque jour de leur laideur primitive par le mélange du sang circassien ; les Européens ne sont plus Gaulois, Germains, Ibériens, Allobroges ; ils ne sont tous que des Scythes diversement dégénérés quant à la figure, & encore plus quant aux mœurs.

Voilà pourquoi les antiques distinctions des races, les qualités de l’air & du terroir marquoient plus fortement de peuple à peuple les tempéraments, les figures, les mœurs, les caractères, que tout cela ne peut se marquer de nos jours, où l’inconstance européenne ne laisse à nulle cause naturelle le temps de faire ses impressions, & où les forêts abattues, les marais desséchés, la terre plus uniformément, quoique plus mal cultivée, ne laisse plus, même au physique, la même différence de terre à terre & de pays à pays.

Peut-être, avec de semblables réflexions, se presseroit-on moins de tourner en ridicule Hérodote, Ctésias, Pline, pour avoir représenté les habitants de divers pays avec des traits originaux & des différences marquées que nous ne leur voyons plus. Il faudroit retrouver les mêmes hommes pour reconnaître en eux les mêmes figures ; il faudroit que rien ne les eût changés pour qu’ils fussent restés les mêmes. Si nous pouvions considérer à la fois tous les hommes qui ont été, peut-on douter que nous ne les trouvassions plus variés de siècle à siècle, qu’on ne les trouve aujourd’hui de nation à nation ?